Free Novel Read

City Girl




  Table des Matières

  Page de Titre

  Table des Matières

  Page de Copyright

  Dédicace

  Remerciements

  1 - Le salaud !

  2 - Jackie face à son destin

  3 - Boîte à rythmes

  4 - J’aime Bond !

  5 - Dégivrage complet

  6 - Pour l’amour d’un salaud

  7 - C'est oui ou Zénon ?

  8 - J’ai un petit tatami !

  9 - Opération « Sauvez Samantha »

  10 - Pierce-moi, je rêve !

  11 - Dans quel état j’erre ?

  12 - Vous avez un message

  Première semaine, lundi

  Vendredi

  Deuxième semaine, lundi

  Mercredi

  Troisième semaine, lundi

  Mardi

  Mercredi

  Jeudi

  Quatrième semaine, lundi

  Mercredi

  Vendredi

  Cinquième semaine, mercredi

  Vendredi

  Sixième semaine, lundi

  Vendredi

  13 - Trois minutes

  14 - Foireux Noël !

  15 - Un train nommé désir

  16 - Les douze coupes de minuit

  17 - Delirium très mince

  18 - Le Millionnaire se démasque

  19 - Saint Valentin, priez pour nous !

  © 2001, Sarah Mlynowski. © 2003, 2004, Traduction française : Harlequin S.A.

  978-2-280-85001-8

  Cet ouvrage a été publié en langue anglaise

  sous le titre :

  MILKRUN

  Traduction française de

  CÉCILE DESTHUILLIERS

  Ce roman a déjà été publié dans la même collection

  en juin 2001

  HARLEQUIN®

  est une marque déposée du Groupe Harlequin

  et Red Dress Ink® est une marque déposée d’Harlequin S.A.

  Toute représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.

  83-85, boulevard Vincent-Auriol, 75013 PARIS — Tél : 01 42 16 63 63

  Service Lectrices — Tél. : 01 45 82 47 47

  — ISSN 1761-4007

  A Elissa Harris, Qui sait toujours exactement ce que je veux dire,

  Et qui me laisse l’appeler maman.

  REMERCIEMENTS

  Un grand grand grand merci à tous ceux qui m’ont aidée à ne pas devenir cette fille « qui parle sans arrêt du livre que peut-être un jour elle se décidera à écrire » :

  Sam Bell, pour avoir été le plus adorable éditeur qu’une Américaine puisse espérer avoir, et pour m’avoir montré comment « faire vivre » ce livre.

  Merjane Schoueri, pour son extraordinaire science du marketing, et pour m’avoir littéralement donné sa chemise. Margie Miller et Tara Kelly pour la couverture : elle est parfaite. Randall Toye, Kathrin Menge, Natasa Hatsios, Susan Pezzack, Julie Haroutunian et Louisa Weiss pour leurs inépuisables encouragements. Mon père, pour être toujours fier de moi et pour avoir essayé de toutes ses forces de sauver le chapitre 10alors que mon PC portable était encore tombé. Laura Morris pour son sens de la petite phrase. Bev Craig pour l’inspiration initiale. Robin Glube pour avoir été mon guide à Boston et mon relecteur personnel. Shoshana Riff pour le voyage à Back Bay. Kate Henderson et Michael Hilliard pour les questions juridiques.

  TOR Retail pour leur soutien permanent et pour m’avoir laissé monopoliser l’imprimante. Bonnie Altro, Rebecca Sohmer, Jessica Davidman, Lisa Karachinsky, Ronit Avni, Jess Braun et Judy Batalion pour avoir été mes premières lectrices, de merveilleuses amies et pour m’avoir laissé parler de mon livre jusqu’à saturation. Aviva June pour m’avoir donné des idées.

  Et, bien sûr, Todd Swidler, parce que sans lui, ce livre n’existerait pas.

  Et au fait, maman, merci encore.

  1

  Le salaud !

  Le salaud ! Salaud, salaud, salaud ! Comment a-t-il osé me faire ça ?

  Atterrée, je relis le mail de Jeremy. Non, le doute n’est plus permis. Tout est terminé. Hagarde, je compose le numéro de Wendy…

  D’habitude, c’est Natalie qui assure la hot-line téléphonique en cas de catastrophe mineure : augmentation refusée par rédac’ chef mal lunée, couleur de cheveux massacrée, numéro de téléphone du livreur de sushis égaré. Mais là, il s’agit d’un drame de force majeure. Un séisme de niveau dix sur une échelle qui n’en compte que neuf.

  L'abomination de la désolation.

  L'étendue de la tragédie me commande d’appeler immédiatement Wendy, ma directrice de conscience et ma meilleure amie — sorte d’hybride naturel de Gemini Cricket et de mère Teresa.

  J’aggrave mon cas auprès de mon employeur par un appel personnel longue distance à New York ? M’en fiche. De toute façon, ma vie est foutue.

  D’un agile coup de souris, fruit d’une longue pratique, je réduis la fenêtre de ma messagerie au format confetti, au cas où la rédac’ chef passerait son museau par ma porte. Si elle déboule sans prévenir, Shauna-la-Fouine ne verra sur l’écran de mon ordinateur que la page en cours de correction de Millionnaire, cow-boy et futur papa, ce chef-d’œuvre de la littérature moderne que je suis censée relire, et non l’acte de pur sadisme que Jeremy vient de m’envoyer de Thaïlande sous forme de mail.

  Envoyer ? Non, assener. Direct dans les dents.

  — Wendy Smith, annonce celle-ci de sa voix de business woman over-bookée.

  — C'est moi.

  — Jackie ? Tiens, c’est drôle, je pensais justement à toi. Je dois avoir des pouvoirs psychiques ! plaisante Madame Irma, inconsciente du drame qui vient de me foudroyer, me laissant plus bas que terre, l’âme brisée et le cœur en mille morceaux (c’est une estimation, on n’a pas encore retrouvé la boîte noire).

  Pas de temps pour les mondanités, je vais droit au but. J’aboie, au bord des larmes :

  — Ton pendule intérieur ne t’a pas prévenue que ce salaud allait rencontrer la femme de sa vie en Thaïlande ?

  Et comme si ça ne lui suffisait pas, qu’il m’enverrait un mail pour me décrire ses turpitudes par le menu ? Le salaud ! Je ne lui adresserai plus jamais la parole. S'il m’envoie un nouveau mail, j’appuierai sur la touche « Effacer » sans même l’ouvrir. S'il téléphone, je lui raccrocherai au nez. S'il se rend compte qu’il ne peut pas vivre sans moi, saute dans le premier vol pour Boston et se rue chez moi avec un diamant gros comme cinq fois son salaire — en supposant qu’il soit capable de gagner un salaire — je lui claquerai la porte au nez.

  Bon, peut-être pas tout de suite. Je lui laisserai d’abord une chance de s’expliquer.

  C'est que j’aimerais bien ne pas finir vieille fille, tout de même.

  — Le salaud ! s’écrie Wendy. Comment a-t-il osé te faire ça ?

  Ce qu’il y a de bien avec Wendy, c’est qu’on est souvent sur la même longueur d’ondes.

  — Et d’abord, qui est cette fille ?

  — Sais pas. Une bimbo quelconque qu’il aura trouvée en cherchant son moi profond. Il me laisse trois semaines sans nouvelles et hop ! un mail pour me dire : « Salut, comment ça va, moi ça baigne, je viens de trouver l’Amour ».

  — Quelle horreur, il a vraiment dit ça ?

  Je réprime un rire nerveux. Comme si Jeremy était capable d’écrire le mot « amour », ou même de le prononcer ! Au fil des années, j’ai fini par formuler l’hypothèse qu’il souffrait d’un handicap génétique lui interdisant de combiner les lettres du mot A-M-O-U-R.

  Je le déteste !

  — Ce n’est pas exactement ce qu’il a écrit. Il dit seulement qu’il veut que je sache qu’il v
oit quelqu’un.

  — Attends… Je croyais que tu lui avais précisé que tu le laissais libre de faire des rencontres ?

  — Mais je ne pensais pas qu’il allait le faire !

  Ce jour-là, j’ai surtout raté une occasion de la fermer.

  Depuis que j’ai lu son mail, je visionne en boucle le film de ses orgies sous les cocotiers en compagnie de beautés thaïes nues. Et au lieu de concentrer la fine fleur de mon intelligence sur le Millionnaire, j’imagine Jeremy, dopé aux aphrodisiaques, faisant sauvagement l’amour à une déesse hollandaise d’un mètre quatre-vingts, sosie de Claudia Schiffer en talons aiguilles et pantalon corsaire sur une plage de sable blanc.

  Récapitulons. Au départ, Jeremy était supposé partir un mois en Thaïlande pour faire le point et me revenir transi d’amour, les sentiments galvanisés par la séparation, enfin conscient de la profondeur de sa passion pour moi et fermement décidé à consacrer le reste de ses jours — et de ses nuits — à couvrir mon corps nu de baisers en répétant sur tous les tons le mot A-M-O-U-R.

  Pourquoi n’a-t-il rien compris ? Ma demande était pourtant limpide !

  — Jackie, il faut regarder la vérité en face, annonce Wendy, lugubre. Voilà deux mois qu’il roule sa bosse à travers la Thaïlande. A l’heure qu’il est, il a déjà dû coucher avec la moitié du pays. Si tu me lisais ce mail, que je mesure l’étendue des dégâts ?

  Répéter ces horreurs à voix haute dans le bureau ? Plutôt crever de dysenterie sur la paille humide d’un cachot thaïlandais !

  — Peux pas. Je te le fais suivre, attends une seconde.

  D’un clic rapide, j’expédie l’instrument du mal vers l’adresse e-mail de Wendy. Le Millionnaire revient sur mon écran, ni vu ni connu.

  — ... là, tu l’as reçu ?

  — Oui… un instant, marmonne Wendy, j’ai un double appel.

  Elle me met en attente, et aussitôt, une version instrumentale de My Way remasterisée pour ascenseurs se déverse dans mes oreilles.

  Un malheur n’arrive jamais seul.

  Cette fois-ci, je dois pleurer pour de bon car l’écran de mon ordinateur commence à se brouiller, un peu comme quand Jeremy essaie de régler la télévision.

  Essayait, puisque je vais devoir m’habituer à parler de lui au passé.

  Allons, pensons positif. Pensons joyeux, pensons pétillant ! Pensons pot géant de Hägen Dasz aux noix de pécan devant la vidéo de Mary Poppins avec Julie Andrews. Pensons billet de loto gagnant et expédition punitive dans les grands magasins aux rayons sacs à main, maquillage et lingerie fine, munie d’une carte American Express Gold. Non, achat du grand magasin. Avec les vendeurs masculins, si possible.

  Je me sens déjà mieux. L'écran retrouve peu à peu sa netteté. Mais poursuivons notre périple dans les souvenirs heureux… La caresse de Jeremy, quand il dessinait des petits ronds avec son pouce à l’intérieur de mon bras.

  Touche « Effacer ». On recommence.

  Le jour où le professeur McKleen m’a donné un dix-huit sur vingt pour ma dissertation sur Edgar Allan Poe. Le jour où on m’a retiré mon appareil dentaire et où je suis restée une heure à me sourire dans le miroir de la salle de bains, ravie de ne plus ressembler à Requin, dans L'Espion qui m’aimait. Le jour où ma demi-sœur Iris m’a déclaré qu’elle me considérait comme la fille la plus sexy qu’elle connaisse — un peu comme Gwyneth Paltrow, mais en plus jolie.

  Allez, tout va bien à présent. Je suis d’une sérénité qui ferait passer le Dalaï Lama pour une puce sauteuse.

  C'est précisément l’instant que choisit Helen, ma voisine de box, pour se pencher par-dessus la demi-cloison qui nous sépare.

  Helen est une extraterrestre dotée de super-pouvoirs terrifiants, en particulier celui de faire irruption au moment le moins indiqué. Pardon ? Ce n’est possible ? Alors comment fait-elle pour passer sa tête de poule étonnée par-dessus la cloison juste quand je viens de me brancher sur Beauxmecs.com ? Ou pour rôder dans le couloir à l’instant précis où j’essaie de me faufiler en douce dans mon box les matins de léger retard ?

  Helen est un personnage aussi remarquable qu’exaspérant, qui ressemble un peu à la maman d’E.T. et possède la capacité de nuisance d’un bouton qui vous pousse au milieu du nez pile le jour de la fête de fin d’année, ou de vos règles qui arrivent le matin d’une virée à la plage avec votre bande de copains ; le jour même où vous aviez prévu de vous exhiber dans votre adorable petit Bikini blanc acheté en solde (une misère !) chez Marks and Spencer’s.

  En la voyant s’agiter à ma droite, je comprends qu’il est urgent de protéger mon espace vital. Il y va de ma survie. Je fixe ma voisine entre les deux yeux — il paraît que c’est là qu’il faut regarder les poules pour les hypnotiser.

  — Oui, Helen ?

  Elle me demande, très première de la classe :

  — Tu ne peux pas faire moins de bruit ? J’ai du mal à me concentrer.

  Fayote ! Je me souviens que le jour de mon arrivée chez Cupidon & Co, je me suis solennellement juré de ne jamais me laisser polluer l’oxygène par cette madame J’en-saurai-toujours-plus-que-vous. Ce matin-là, alors que je venais de lui annoncer, histoire de lui faire tâter de l’épaisseur de mon bagage intellectuel, que j’avais fréquenté l’université de Penn — presque aussi cotée que Harvard ! — elle m’a regardée d’un air condescendant.

  Elle avait connu une camarade qui elle aussi s’était inscrite à Penn car elle ne supportait plus la pression à Harvard. Elle-même, bien sûr, était sortie major de sa promo.

  A Harvard.

  Ensuite, il y a eu cet épisode tout aussi douloureux pour mon ego où, dans un élan de bonne volonté que je ne me pardonne pas, je me suis penchée par-dessus la séparation de nos box pour la prévenir que je devrais partir en avance pour « aller au docteur ».

  — On dit « chez le médecin », Jackie, a-t-elle rectifié sans même lever le nez de son écran.

  De ce jour, je me suis retranchée dans une cohabitation polie mais glaciale. J’ai ma dignité.

  Pourtant, et pour une raison que je ne m’explique pas, le petit peuple des secrétaires d’édition semble considérer Helen comme un don de la providence pour Cupidon & Co. « Helen, tu es la diva de la ponctuation ! Pourquoi n’écris-tu pas un manuel ? » s’extasient-elles. Quand ce n’est pas : « Raconte-nous comment c’était, Harvard ? » ou pire : « Si tu nous parlais de ta théorie de la déconstruction subjective dans l’Ulysse de Joyce, Helen ? »

  O.K., j’exagère un brin. Mais citez-moi une seule femme normalement constituée capable de consacrer ses pauses déjeuner à la lecture d’ouvrages aussi folichons que, pour n’en citer qu’un, Paradigme pour une métaphysique appliquée à la narratologie historique ?

  Le plus étonnant, c’est que ma froideur à son endroit ne paraît pas la décourager. Mon petit doigt me dit qu’elle doit bouillir d’impatience de m’exposer ses théories percutantes sur la déconstruction subjective et la critique littéraire post-moderne.

  Pas plus tard qu’hier matin, j’ai encore eu droit à une tentative d’ingérence sur mon territoire. « Est-ce que je t’ai déjà raconté que quand j’étais en dernière année à Harvard, Jim — tu sais, Jim Galworthy, le prix Nobel de littérature ? — voulait absolument que je donne des conférences dans tout le pays pour présenter ma thèse ? Il est vrai qu’elle est si innovante… »

  Et patati, et patata. Moi aussi, ma poule, j’ai une maîtrise de lettres modernes. Bon, une demi-maîtrise, puisque je n’ai terminé que la première des deux années. Mais comme je dis toujours, pour ce que je gagne ici, c’est bien suffisant, n’est-ce pas ?

  A propos, y a-t-il quelqu’un dans la salle qui pourrait m’expliquer ce que fiche une diplômée de Harvard chez Cupidon & Co ? A l’heure qu’il est, elle devrait logiquement employer les formidables ressources de sa matière grise à la réédition de l’œuvre intégrale de Soeren Kirkegaard et s’absorber dans les subtilités métaphysiques du Sens de la Vie, au lieu de brader son talent à peaufiner le réc
it des amours torrides d’un robuste texan et de sa fiancée (encore vierge à vingt-cinq ans passés. Franchement, comment voulez-vous qu’on y croie ?)

  Peut-être qu’elle n’a pas vraiment fréquenté Harvard ? Je veux dire, pas l’université ? Eurêka ! Helen a bien fréquenté Harvard.

  La maternelle de Harvard.

  — Excuse-moi, lui dis-je en prenant mon Air naïf n°3, le plus réussi. J’ai un point de côté. A moins que ce soit un point-virgule de côté, je ne suis pas sûre. En tout cas, ça me gêne terriblement.

  — Ah bon ?

  Elle me dévisage de ses yeux ronds, tellement occupée à décider — je n’ose pas dire à trancher — si c’est du lard ou du cochon qu’elle en oublie un instant d’être désagréable.

  Un instant seulement. Je vois son front s’éclairer, puis je l’entends déclarer avec sa condescendance habituelle :

  — Je dois pouvoir t’aider. Après tout, avant d’être promue responsable d’édition, j’ai bien été secrétaire d’édition.

  Et alors, c’est dégradant ? Je retiens ma réplique acerbe. Je veux voir jusqu’où elle va marcher.

  — Je peux programmer un groupe de réflexion « Point, virgule et point-virgule » pour cet après-midi ? Si tu es sérieuse.

  Je fais mine de m’offusquer.

  — Bien sûr que je suis sérieuse !

  Je suis sidérée de voir que mon bobard a pris. Il y a donc des gens comme elle, dans la Vraie Vie ? Incroyable. Fascinée, je m’abîme dans ma réflexion. Est-ce que les truffes ont conscience d’être des truffes — ou, comme l’aurait formulé ce cher Jimmy (Galworthy), est-ce que la truffe se saisit comme conscience face au monde dans une dimension ontologique ?

  Est-ce que, quand Helen se regarde dans le miroir de sa salle de bains, c’est Cindy Crawford qu’elle voit ? Et moi, serais-je en réalité bien moins belle et intelligente que je l’ai toujours cru ? Est-ce pour cela que Jeremy m’a plaquée pour une déesse de l’amour tantrique hollandaise ?

  Helen tapote la cloison de son Mont-Blanc, signe d’une intense activité cérébrale.

  — C'est réglé ! m’annonce-t-elle dans un gloussement excité.